F.Paquet : "Performance sportive et moyens financiers sont indissociables !"

Alors que la taxe à 75% est au cœur des débats, le Directeur Général Adjoint du LOSC, Frédéric Paquet, tient à apporter des explications sur la relation entre performance sportive et performance financière dans le football. Il dresse un état des lieux du contexte économique actuel, en insistant sur le réel danger qui guette...

Frédéric Paquet, bonjour. Le grand débat qui anime l’actualité sur la taxe à 75% amène des interrogations du grand public sur des sujets tels que la gestion des clubs ou la compétitivité sportive. Pensez-vous pour commencer que les clubs soient mal gérés ?
Non, c’est tout le contraire ! Rien qu’avec la DNCG, l’organe de contrôle financier des clubs, nous sommes sous contrôle permanent, ce qui nous oblige à surveiller sans cesse notre équilibre financier, sous peine de rétrogradation, ce qui n’est pas le cas chez nos concurrents européens. Par contre, il faut être clair sur un point : cela n’empêche pas la majeure partie des clubs français d’être déficitaire à chaque fin de saison. Mais, même s’il peut parfois y avoir des erreurs comme partout, ce n’est pas la gestion d’un club qui est en cause, c’est le système !

Que voulez-vous dire ?
Il est d’abord essentiel de comprendre que dans le milieu du football, l’offre est supérieure à la demande. C’est-à-dire qu’au regard du nombre de clubs que compte l’Europe, voire le monde, il y a plus de clubs que de joueurs à un niveau donné. Le joueur a donc le choix et se tournera forcément vers l’offre la plus attrayante. Résultat, les salaires grimpent et terminent en règle générale au-dessus de la valeur intrinsèque du joueur ou de celle du marché. Cela amène donc directement une augmentation artificielle des salaires. Et si vous n’êtes pas en mesure de mettre le prix demandé, vous devez vous rabattre sur un joueur d’un niveau  inférieur. C’est alors la qualité sportive de votre équipe qui en pâtit.

Cette escalade des prix est donc inévitable…
Oui, d’autant que plus on recherche quelqu’un de performant, plus les chiffres grimpent, car les joueurs talentueux sont rares. Et ce qui est rare est cher. Cette concurrence est même plus rude pour les clubs français, car le coût du travail est nettement plus important en France que dans les autres championnats majeurs. Concrètement, pour un salaire de 100 000€ par mois, un club français dépense en réalité 150 000€, pendant qu’en Allemagne, où les charges sont plafonnées, le club débourse 100 640€. En Italie, ce montant s’élève à  101 860€, en Espagne à 100 750€ et en Angleterre à 113 730€. Quand la France paye 50% de charge avec la taxe à 75%, l'Italie, l’Allemagne et l'Espagne en payent moins de 2% et l'Angleterre moins de 14%. Le déséquilibre est donc inévitable.

C’est le seul problème ?
Non, ajoutons à cela le fait que pour ceux qui jouent plutôt le haut du tableau et qui sont donc susceptibles de disputer une Coupe d’Europe, la difficulté réside dans la spécificité des contrats des joueurs : ils signent pour une durée déterminée de deux, trois, quatre voire cinq ans. Or, lorsqu’on évolue au niveau européen, nous sommes forcés d’étoffer l’effectif au moins en quantité, sans aucune certitude de redevenir européen la saison qui suit. Si vous ne vous requalifiez pas la saison suivante, vous n’avez donc plus les recettes de la Coupe d’Europe, mais vous gardez les coûts inhérents. C’est pourquoi le classement en championnat est si important.

"Ce n’est pas la gestion des clubs qui est en cause, c’est le système."

On dit pourtant que les clubs sont riches, que répondez-vous à cela ?
Que les gens ne voient que la partie émergée de l’iceberg, à savoir les matchs et les montants affichés dans les médias sur les transferts ou les salaires des joueurs. Mais, ce n’est pas parce qu’un joueur touche un salaire important que les clubs sont riches ! On vient d’expliquer les raisons de ces salaires importants. Or il y a aussi tout ce que les gens ne voient pas, c’est à dire le coût de financement d’un club de haut niveau.

Vous pouvez préciser ?
Le haut niveau coûte extrêmement cher car cela demande de disposer d’installations et d’un encadrement de qualité et en quantité. Pour une équipe amateur, l’encadrement de l’équipe première se résume à 4 ou 5 personnes, pour la plupart bénévoles. Pour une équipe professionnelle, cela varie entre 50 et 250 salariés ! L’équipe amateur utilise des vestiaires et un terrain mis à disposition par la municipalité. Les infrastructures d’entraînement d’un club professionnel sont privées et s’étalent sur plusieurs hectares… Vous retrouvez la même comparaison entre une voiture de Formule 1 et un véhicule personnel. Il y a d’un côté une trentaine de mécaniciens et d’ingénieurs et de l’autre, votre garagiste. La F1 possède 4 roues comme votre voiture, mais pourtant, ça n’a rien à voir.

Si on prend l’exemple du LOSC, comment cela se matérialise-t-il ?
Pour son équipe professionnelle et son centre de formation, le LOSC emploie 200 personnes, joueurs compris. Nous évoluons ensuite sur un espace de 20 hectares qui a demandé 25 millions d’euros d’investissement et qui coûte 5 millions d’euros par an d’exploitation. Il faut vraiment prendre conscience que le haut niveau et la performance coûtent très cher.

Pourtant, l’arrivée des nouveaux stades laissait augurer une certaine pérennité justement…
Sauf que ce n’est pas aussi simple. D’abord, un nouveau stade apporte une qualité de confort nécessaire pour les équipes, les spectateurs, les partenaires et les médias. Et c’est essentiel pour un club d’être en capacité d’accueillir tous ces publics dans les meilleures conditions. Ensuite, il permet d’augmenter ses ressources car il est souvent plus grand et permet donc de recevoir plus de public. À condition bien sûr… de le remplir. Et pour le remplir, il est fondamental de gagner des matchs. Pour cela,il faut avoir une équipe performante et donc, les moyens d’avoir des joueurs performants. Malheureusement, les coûts de fonctionnement des nouveaux stades sont tellement élevés qu’il est difficile de construire l’équipe qui va de pair avec la qualité de l’équipement. Pour le LOSC par exemple, nous avons d’abord investi la saison dernière plus de 3 millions d’euros pour améliorer les conditions d’accueil de notre public, de nos partenaires et des médias. Aujourd’hui, les charges d'exploitations annuelles du stade sont de 11 millions d'euros dont 5 millions de loyer ! Pendant que les recettes ont été multipliées par 2, les charges ont, elles, été multipliées par 5.

"Dans le sport professionnel, on ne peut pas dissocier le sportif de l’économique."

Si le problème réside prioritairement sur la masse salariale, pourquoi basiquement ne pas baisser la rémunération des joueurs ?
On l’a évoqué, baisser votre masse salariale signifie automatiquement baisser votre niveau de jeu. La concurrence est telle que la performance sportive et la capacité de proposer des salaires attractifs sont indissociables. Aucun dirigeant n’a envie de baisser le niveau de son équipe s’il peut l’éviter. D’abord pour gagner le plus souvent possible, ce qui est l’essence de notre métier, mais aussi parce que dans notre système, la performance augmente les revenus. C’est donc un cercle vicieux.

Que faut-il faire dans ce cas pour réussir à garder un équilibre financier ?
Il faut effectivement ajuster notre masse salariale à nos dépenses, mais pour garder une compétitivité sportive en équilibrant nos comptes, il faut que la mesure soit collective et non issue d’un club seul. C’est à l’échelle de l’Europe, au niveau de l’UEFA que cela se joue. Il existe plein d’exemples en France de présidents qui ont dû baisser leur masse salariale et qui sont soit en difficulté en Ligue 1, soit même descendus en Ligue 2. On voit bien également que la France, en adoptant le principe de la DNCG, s’est déjà mise en difficulté au niveau européen. Après, pour être juste, je peux comprendre que les clubs aux moyens illimités ne soient pas pour limiter la masse salariale.

Pourtant, ça n’a pas empêché le LOSC de réussir des exploits en 2001 (3e), 2005 (2e), 2006 (3e), 2011 (doublé championnat-Coupe de France), tout comme Montpellier en 2012, voire Nice en 2013…
C’est exact, sauf que ça n’est possible que de manière ponctuelle, voire au mieux cyclique. C’est souvent le résultat d’une année exceptionnelle accompagnée d’une réussite maximale et d’une défaillance des écuries supposées supérieures. Cela arrive souvent à l’apogée d’un cycle : une équipe de jeunes joueurs mêlés à des éléments plus expérimentés - d’ailleurs pas forcément très reconnus, donc pas très chers à la base - et un amalgame qui fonctionne.

Que faut-il donc en déduire ?
Il faut comprendre que, hormis les quinze clubs les plus riches de la planète, il n’est pas possible d’être en haut du classement tous les ans. Tous les autres clubs sont obligés de vendre à chaque intersaison, car la vente des joueurs fait partie des rentrées permettant d’équilibrer un budget. Au final, chaque année, nous sommes contraints de perdre des joueurs expérimentés qui sont remplacés par des jeunes en devenir. Mais il faut du temps pour que ces jeunes s’aguerrissent au plus haut niveau. On fonctionne à travers des cycles plus ou moins longs. Dans l’état actuel de notre système, en France, il est illusoire de vouloir avoir des clubs performants et équilibrés financièrement sur la durée !

"Nos difficultés économiques sont telles que le football ne peut pas faire l’économie de dire la vérité sur sa situation critique."

Que risque concrètement le football français ?
De voir les clubs continuer à réduire leur budget comme la majorité le fait depuis quelques années déjà, ce qui induit une baisse du niveau de l’équipe et un intérêt moindre de la qualité du spectacle que nous allons offrir à nos supporters. Cette spirale négative peut même, à terme, mener à la disparition de certains clubs. Il faut voir cette cruelle vérité en face ! Ceux qui ne possèdent pas de grands mécènes ne pourront plus financer leur activité et éponger les déficits, ils ne pourront pas survivre. Il n’y a qu’à regarder des cas concrets comme Grenoble, Strasbourg, Sedan, Le Mans … Nous ne sommes plus dans le fantasme, mais dans la réalité du danger. Et le LOSC s’inscrit dans cette logique, à l’instar de tous les clubs de L1 si l’on excepte Paris et Monaco. Nous ne pouvons plus perdre de l’argent indéfiniment. Chaque charge nouvelle qui s’ajoute met le football encore plus en danger. C’est pourquoi il faut arrêter de ponctionner les recettes du football professionnel si on ne veut pas devenir une nation de seconde zone.

Heureusement que les actionnaires sont là, non ?
C’est évident ! J’en profite pour souligner le courage des actionnaires du football français. Je pense que ceux qui aiment le foot devraient leur être reconnaissant de prendre des risques et de perdre de l’argent pour sauver leur club. Dans la pensée collective, il apparaît naturel que l’actionnaire remette la main à la poche chaque année pour combler le fossé… C’est pourtant tout sauf normal ! Au lieu de les blâmer quand les résultats ne sont pas là, - ce qui, on l’a vu, est quasiment inévitable - on devrait en prendre grand soin. Car si un jour, ils en ont marre de dépenser de l’argent et dans le même temps de se faire insulter, ils finiront par partir. Et alors là, ce serait terrible pour le football.

Ce que vous nous dites n’est pas très rassurant…
J’en ai conscience, mais nos difficultés économiques sont telles que le football ne peut pas faire l’économie de dire la vérité sur sa situation critique. Il est important que tout le monde comprenne bien la situation. Dans le sport professionnel, on ne peut pas dissocier le sportif de l’économique. Nous, dirigeants, nous battons tous les jours pour essayer de trouver un équilibre entre les deux. Malheureusement, dans l’état actuel, nous devons résoudre une équation qui s’avère insoluble. Les médias et spectateurs ne peuvent pas être demandeurs d’une équipe très performante et être étonnés que le club soit en déséquilibre économique. Ou à l’inverse, demander à ce que le club soit économiquement à flot, tout en demandant une équipe compétitive. Le système est tel qu’il est quasi impossible d’être à la fois équilibré et performant.

"Le haut niveau coûte cher et l’organisation actuelle rend impossible la performance sportive et l’équilibre financier."

Dans ce cas, quelles solutions préconisez-vous pour parvenir à pérenniser le football français ?
C’est la responsabilité des instances de répondre à cette question. En tant que dirigeant depuis plus de 12 ans d’un club qui est passé de la Ligue 2 au doublé Coupe de France-championnat en 2011 et qui a participé à 9 Coupes d’Europe dont 5 Champions League, dans un moment où le football est en danger et où certains mélangent un peu tout par démagogie ou ignorance, il me semble important de dire et d’expliquer pourquoi on ne peut pas accuser les clubs professionnels de tous les maux. Il existe des faits concrets dont il faut tenir compte : le haut niveau coûte cher et l’organisation actuelle rend impossible la performance sportive et l’équilibre financier.

Merci Frédéric Paquet.