Les 7 vies de Loïc Rémy

PAR MAXIME POUSSET
 
Espoir du foot français, révélation à l’OGC Nice, vedette de l’OM, attaquant des Bleus, Frenchie à la mode en Premier League, SuperSub à Chelsea, renard des surfaces en Liga, puis aujourd’hui cadre du vestiaire lillois. À 32 ans, Loïc Rémy a été tout ça à la fois. Une carrière riche et passionnante qu’il égrène aujourd’hui avec passion, recul et humilité. À l’image de l’homme qu’il est. Interview.

Salut Loïc. Tu as grandi à Rillieux-la-Pape, en banlieue lyonnaise. Et il me semble que le foot n’a pas toujours été ta passion. Tu confirmes ?190313LITC_REmy.png
Oui, moi je voulais devenir pompier quand j’étais petit. Mais les copains avec qui je jouais au foot dans le city stade en bas de l’HLM évoluaient en club, à l’ASPTT Lyon. C’est donc là-bas que j’ai pris ma première licence, vers 6, 7 ans pour les accompagner dans ce club qui n’existe plus aujourd’hui, malheureusement. J’y suis passé dernièrement et il n’y a plus rien. Ça m’a fait un petit pincement au cœur car c’est là-bas que j’ai commencé. Le foot, c’était notre passe-temps, après l’école, le week-end. C’était notre échappatoire. On était bien, on n’avait besoin de rien d’autre. Parallèlement, je faisais aussi de la natation (j’étais d’ailleurs très fort) et du taekwondo (j’étais d’ailleurs très nul).

À 12 ans tu signes à l’OL. Forcément un changement de vie pour toi, on imagine.
Oui, j’y suis allé dès l’entrée au collège. Je ne dormais pas au centre de formation, je rentrais chaque soir à la maison. Mes parents ne pouvaient pas venir me chercher. Je faisais donc une heure de bus par jour avec mon gros sac de sport. Mais c’était ça ou rien. Quand on grandit à Lyon, signer à l’OL, c’est le rêve. Alors j’ai fait ces sacrifices.
 
Puis tu franchis les échelons un à un, sans pourtant être le meilleur de ta génération, n’est-ce pas ?
Disons que je ne figurais pas parmi les jeunes sur lesquels le club misait au départ, comme Benzema, Ben Arfa ou encore Mounier, des garçons qui figuraient dans les sélections jeunes, ce qui n’était pas mon cas. Mais je me suis accroché. À 18 ans, j’ai été convoqué pour un stage avec les pros à Châteauroux, car l’entraîneur, Gérard Houllier, avait besoin de joueurs de complément. Le stage s’est bien passé. Le jour du retour, je me souviens que le coach m’attrape par le bras au moment de monter dans l’avion pour me dire que j’avais été très bon. Mon premier réflexe une fois installé dans l’appareil a été d’appeler ma mère pour lui raconter. Elle n’y croyait pas. Elle m’a encouragé à bosser encore plus, car parfois le train ne passe pas deux fois. Je devais saisir ma chance maintenant. Quelques mois plus tard, j’étais dans le bureau du Président, Jean-Michel Aulas pour signer mon premier contrat pro. Aujourd’hui encore, quand je croise Gérard Houllier, je le remercie de m’avoir mis le pied à l’étrier.
 
Très vite, tu es lancé en Ligue 1, puis en Champions League, tu deviens champion de France… Comment gère-t-on ça quand on a seulement 19 ans ?
(il réfléchit) Ben tu le gères, tu n’as pas le choix de toute façon (sourire). En plus, j’ai été lancé en Ligue 1 au cours d’un derby contre Saint-Étienne (2-1, en 2006). Je me rappelle que j’avais l’impression de ne pas avancer (sourire). Je revois encore Piquionne prendre le ballon, accélérer et moi derrière qui n’arrive pas à le suivre, alors que j’étais sensé être un joueur rapide. C’est là que j’ai mesuré à quel point il y avait encore du taf’. 

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Chacun sait à quel point il était difficile de s’imposer à l’OL à l’époque. Tu pars donc trouver du temps de jeu à Lens (2008), puis à Nice (2008-2010) et à Marseille (2010-2013) où tu deviens progressivement l’un des meilleurs attaquants de Ligue 1.
Je prends simplement les étapes les unes après les autres. Nice est le club qui m’a révélé au grand public et qui m’a permis de franchir un palier. L’OGCN avait misé beaucoup d’argent sur moi, j’étais l’un des plus gros transferts de l’histoire du club et j’étais encore très jeune. J’ai beaucoup progressé là-bas, notamment au contact de Frédéric Antonetti. Forcément, après deux bonnes saisons, de grands clubs ont tapé à ma porte. J’ai choisi l’OM, un environnement avec beaucoup de pression. On le voit aujourd’hui encore, ce n’est pas facile d’être attaquant à Marseille. Mais j’ai eu la chance de passer deux belles saisons et demie là-bas.

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Parallèlement, tu fêtes tes premières sélections en Equipe de France. Une période qu’on imagine marquante, non ?
Une fierté déjà. Que ça aille bien ou mal, j’ai toujours eu cette capacité à mesurer ma chance de faire ce métier. Quand je suis posé, chez moi, je me dis : « regarde où tu es, les conditions dans lesquelles tu vis, ce que tu as ». Jamais je n’aurais imaginé ça quand j’étais jeune. Moi, je m’étais fait mes petits plans, ma première voiture. Je rêvais d’une 306, j’avais même mis un peu de côté pour me la payer (sourire). Tout ça pour dire qu’on ne planifie rien. Et ça m’a permis de rester terre à terre, y compris au moment de porter le maillot des Bleus, même si forcément, j’avais conscience sur l’instant de faire partie du gratin. La famille qui vient te voir au Stade de France, les larmes de la maman. Des moments gravés. Je crois même que je n’ai pas dormi de la nuit après mon premier but en sélection.

 190313Remy02.pngEn 2013, tu as 26 quand tu pars pour l’Angleterre. Un rêve de gosse ou un choix de carrière ?
(sans hésiter) Un rêve de gosse, un vrai. Depuis tout petit, j’avais envie d’aller jouer en Premier League, ce serait-ce que par rapport à Thierry Henry, mon idole. On a parfois essayé de me comparer à lui, mais dans toutes mes interviews, lorsqu’on me posait la question, j’ai toujours affirmé qu’il était un joueur phénoménal, celui qui m’a fait aimer le foot et que moi j’étais moi, Loïc Rémy, un autre joueur. Après, bien sûr que je me suis beaucoup inspiré de lui, parfois même jusque dans mes célébrations de but. Il m’est arrivé de faire pareil, car il était mon idole, tout simplement.
 
Tu te souviens de votre première rencontre ?
Bien sûr, je revois encore la scène. C’était au château de Clairefontaine, avec les Bleus. J’étais comme un enfant, impressionné. C’était puissant. C’est d’ailleurs ce qui me permet aujourd’hui de comprendre ce que ressentent parfois les supporters lorsqu’ils nous rencontrent pour la première fois. Je connais cette émotion. Alors bien entendu, j’essayais de le regarder comme un coéquipier, mais au fond de moi, j’avais un immense respect. J’observais son attitude sur le terrain, ses déplacements. Je ne voulais pas non plus l’épier (il se marre), mais je regardais avec attention, oui. Franchement, ce sont de beaux souvenirs. Et aujourd’hui, je suis vraiment fier d’avoir pu jouer avec lui. Je pourrai le raconter à mon fils plus tard : j’ai joué avec Thierry Henry.
 
Reprenons le fil de ta carrière. Hiver 2013, direction l’Angleterre et Queens Park Rangers. Une nouvelle aventure.
Oui, j’arrive en janvier dans un club en difficulté. J’avais le choix entre Queens Park Rangers et Newcastle, qui étaient dans les mêmes eaux en championnat. J’ai choisi QPR, Londres. Il y avait vraiment de bons joueurs dans cette équipe : Taarabt, Wright-Philips… Au final, on est malheureusement relégué et je signe finalement à Newcastle la saison suivante (2013-2014). C’est véritablement là que je prends la mesure de la Premier League. Le public anglais me découvre, je réalise une bonne saison, aux côté de nombreux Français, d’ailleurs : Debuchy, Marveaux, Cabaye… 190313Remy04.png
 
Une belle saison qui t’ouvre les portes de Chelsea (2014-2016). Te voilà de retour à Londres…
On termine champions et on gagne la League Cup dès la première année, même si mon temps de jeu est limité. Diego Costa est le titulaire, mais j’entre en cours de match et je suis souvent décisif. Je pense que Chelsea restera le sommet de ma carrière, même si paradoxalement je n’y suis pas titulaire. Bien sûr, j’aurais aimé jouer davantage. Je l’aurais mérité, même. Mourinho l’a d’ailleurs reconnu. Il m’avait convoqué dans son bureau pour me dire que je méritais plus de temps de jeu, mais qu’il y avait Drogba et Diego Costa. Je le savais en venant. En 2016, après deux saisons à Chelsea, je m’engage avec Crystal Palace où je connais pas mal de soucis musculaires. Je vis quasiment une année blanche. C’est probablement le passage le plus compliqué de ma carrière. Mentalement, c’était très difficile. C’est là que tu mesures l’importance de ta famille à tes côtés.
 
Nous sommes alors en 2017 et tu décides de donner une nouvelle orientation à ta carrière en rejoignant l’Espagne, à Las Palmas, puis Getafe. Qu’en gardes-tu ?
De bons souvenirs. Cette expérience en Espagne s’est avérée enrichissante. J’ai connu un autre football, une autre culture, une approche différente de l’Angleterre, moins physique, plus rapide et technique. Ce n’est pas la même philosophie de jeu. Et puis ça m’a aussi permis d’apprendre une autre langue. On voit souvent le footballeur comme un simple joueur de foot, mais c’est aussi un homme qui s’enrichit. Et ce fut mon cas. Aujourd’hui, je suis content de savoir parler Anglais. Mon Espagnol n’est pas trop mal non plus. Ça donne une certaine ouverture d’esprit.

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Et puis l’été dernier, tu retrouves la Ligue 1, 5 ans après l’avoir quittée. T’attendais-tu à vivre une telle saison avec le LOSC ?
Pour être tout à fait sincère, je l’avais senti. Dès ma première semaine d’entraînement, je me suis dit « ça peut le faire ». Pas « ça VA le faire », mais « ça PEUT le faire ». J’ai tout de suite senti la qualité technique, le potentiel. A contrario, quand je suis arrivé à Las Palmas, je me suis immédiatement dit que ça allait être compliqué. Je ne sais pas comment l’expliquer. Ce sont de petites choses qu’on sent avec l’expérience. Et je ne m’étais pas trompé car jusqu’à maintenant, ça le fait, même si je n’aime pas mettre la charrue avant les bœufs, donc je dirais qu’il reste encore beaucoup de match et qu’il faut rester sérieux. Mais on a quelque chose à faire de bien, oui.
 
Parmi les nombreux talents de cette équipe il y a un certain Rafael Leao. Quel regard portes-tu sur lui ?
Rafael a énormément de qualités, mais surtout une bonne mentalité et une très grosse marge de progression. On s’entend bien et la concurrence est saine. Vraiment. Ce qui n’est pas le cas dans tous les clubs, d’ailleurs. J’arrive à le pousser, à le challenger. Durant les séances de finition devant le but, par exemple, on fait un concours de celui qui marquera le plus. On échange beaucoup tous les deux, il me pose des questions et j’essaye de lui faire comprendre que malgré sa qualité, il faut être tout le temps exigeant envers soi-même. Au cours de ma carrière, j’ai vu comment se comportaient les plus grands joueurs. À l’entrainement, certains travaillaient comme des bêtes alors qu’ils étaient titulaires indiscutables. Mais le très haut niveau, c’est ça. Pour passer un cap, il ne suffit pas d’être bon le week-end. Il faut tout le temps l’être, car la concurrence est féroce.

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On sent l’expérience et le vécu dans ce discours…
J’ai appris au fil de ma carrière à prendre ce qu’on me donne, à me tenir prêt pour le moment où le coach fera appel à moi. Un jour c’est untel qui brille, le lendemain ce sera un autre. C’est comme ça que fonctionne un groupe. On gagne ensemble, on perd ensemble. J’essaye de profiter de chaque moment, de chaque sensation, car je sais, pour en avoir parlé avec d’anciens footeux, que ces émotions, celles que tu ressens quand tu marques, quand tu fais lever des stades, elles sont très puissantes et ce sont celles-là qui manquent le plus lorsqu’un footballeur arrête sa carrière. Alors je profite, je savoure.
 
Merci pour ta disponibilité, Loïc. Et bonne fin de saison ;-)