L'interview

Dans les pas de Carlos Baleba

Il est arrivé en janvier 2022 sur la pointe des pieds, avec envie et humilité. Moins d’un an plus tard, il figure parmi les plus belles promesses de la formation lilloise au Domaine de Luchin, là où d’autres talents avant lui ont été façonnés, fabriqués, développés. Partons sur les traces de Carlos Baleba (19 ans), un jeune Dogue qui aboie.

Certains supporters lillois (ils sont peu) ne te connaissent pas encore. Peux-tu te présenter à eux ? 

Je m’appelle Carlos Noom Quomah Baleba, mais on m’appelle Carlos. Noom est mon deuxième prénom. Au départ, je l’avais choisi pour être écrit sur mon maillot, mais je me suis rendu compte qu’au Cameroun, on me connaissait sous le nom de Baleba, qui est plus facile à retenir. Je le tiens de mon papa, il s’appelle Eugene Balepa, avec un « p ». Mais je ne sais pas pourquoi, pour mon petit frère et moi, ça a été remplacé par un « b ». Quant à Quomah, ça signifie « la durée » en langue Bassa, chez nous au Cameroun.

Peux-tu nous parler de ton enfance ?

J’ai grandi dans la ville de Douala, au sein du quartier d’Akwa. C’est là que j’ai passé mon enfance. J’y ai connu des hauts et des bas. Quand j’étais tout petit, ma maison a brûlé. On en a donc rebâti une nouvelle. Mon père a été footballeur. Il avait un bon niveau, qui lui a permis de faire un essai en France, à Saint-Étienne, mais il n’a pas duré. Il a terminé en Afrique du Sud avant de revenir au Cameroun. J’ai un petit frère, qui joue aussi au foot. Il se bat, il est avant-centre, mais il a 13 ans, il est encore jeune.

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Du coup, on ne te demande pas d’où tu tiens ta passion pour le foot…

(il sourit) C’est mon papa qui m’a transmis tout ça. Il m’a pris en charge, il m’a entraîné. J’ai commencé à jouer au Futur Soccer FC, à Douala. À l’époque, j’évoluais ailier droit. Puis j’ai arrêté le foot suite à une petite blessure qui me faisait boiter. J’ai repris ensuite dans des clubs de quartier de Douala, à Bépanda, à Grand Moulin. Là-bas, je jouais numéro 10. Un jour, j’ai fait un tournoi organisé par l’École de Football des Brasseries du Cameroun et c’est là que j’ai été recruté. Je suis entré à l’académie à l’âge de 13 ans. C’est une bonne académie, assez réputée au Cameroun. Trois de ses anciens membres jouent aujourd’hui en France : Ignatus Ganago (Nantes), Darlin Yongwa (Lorient) et Guy-Marcelin Kilama (Niort).

Quand tu étais petit, qui étaient tes idoles, tes modèles ?

J’avais beaucoup d’idoles que j’observais à la télé, surtout au poste de milieu de terrain : Paul Pogba en un, Kevin De Bruyne en deux et Thiago Alcântara en trois. Je les regardais, j’essayais de reproduire ce qu’ils faisaient. Je n’ai jamais eu un autre rêve que le foot. Depuis tout petit, je suis programmé pour ça, pour devenir professionnel. C’est ce que j’aime faire. Jouer au foot.

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« Je n’ai jamais eu un autre rêve que le foot. Depuis tout petit, je suis programmé pour ça, pour devenir professionnel. C’est ce que j’aime faire. Jouer au foot »

Sur le terrain, qu’est ce qui faisait ta force quand tu étais petit ?

Dès le départ, papa m’a inculqué le travail. Il y a des choses qu’il me faisait faire et qui étaient difficiles, comme porter des charges lourdes ou courir pendant plusieurs heures. Tout le monde lui disait : « Non, c’est encore un enfant, il ne faut pas faire ça ». Mais j’y allais à mon rythme. Quand je suis entré à l’académie, il m’a laissé la première année, puis, vu qu’il est entraîneur à l’École de Football des Brasseries du Cameroun, il m’a repris en charge à mes 14 ans en me proposant des programmes de musculation et de courses. Je m’entraînais avec les U18 de l’académie. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à jouer à mon poste actuel, en box to box.

Et c’est à ce poste là que tu t’es révélé, n’est-ce pas ?

J’ai participé à de grands tournois de jeunes au Cameroun (Tournoi Limbé, Easter Cup, Challenge Geremi Njitap) qui sont souvent observés par des recruteurs de clubs européens. Je suis parfois sorti meilleur joueur. J’ai aussi joué la Coupe du Cameroun, contre les clubs séniors de toutes les divisions. Nous étions l’équipe la plus jeune de la compétition, puisqu’on était tous des U18. Nous sommes arrivés jusqu’en 1/8èmes de finale. Mais je n’ai pas pu jouer ce match, j’avais un examen à l’école le même jour.

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© École de Football des Brasseries du Cameroun

Pourquoi avoir choisi le LOSC ?

(sans hésiter) Parce que le projet qui m’a été présenté était le meilleur pour moi, pour mon développement. J’ai aussi choisi le LOSC car j’aimais cette équipe. Je regardais ses matchs, je suivais ses résultats, je voyais ses participations européennes. Et puis il y a eu dans l’équipe des joueurs avec qui j’avais envie de jouer, comme Nicolas Pépé, Renato Sanches, Jonathan Bamba ou Benjamin André, qui est un joueur que j’aime bien, qui galvanise beaucoup ses équipiers, qui donne le ton et fait avancer l’équipe. Renato est aussi un exemple pour moi. J’ai eu la chance de jouer un petit peu avec lui la saison dernière.

Comme tu le sais, le LOSC a souvent formé de jeunes talents du football africains, notamment des Camerounais, comme Jean II Makoun ou Aurélien Chedjou. Cet héritage-là a-t-il compté pour toi en signant ici ?

Oui, forcément. Je connais Aurélien Chedjou et Jean II Makoun qui étaient de grands joueurs. Mais l’Africain que j’ai vraiment le plus adoré au LOSC, c’est Idrissa Gana Gueye. Lui aussi je m’en inspire au milieu de terrain. C’est un joueur box to box, toujours là pour impacter le jeu. Sur le terrain, il ne se plaint jamais, il joue, il court, il travaille sans rien dire.

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© École de Football des Brasseries du Cameroun

Tu es arrivé en France en janvier dernier. Raconte-nous tes premiers pas à Lille.

C’était juste après mes 18 ans (il les a fêtés le 3 janvier 2022). C’était la première fois que je voyageais à l’étranger. (il réfléchit) Bon, mon premier adversaire a d’abord était le climat. Je ne connaissais pas. Avec le temps je me suis habitué au tempérament du temps. Quand je suis arrivé au LOSC, on m’a très bien accueilli et intégré à l’équipe du groupe Pro 2. Grâce à mes coéquipiers et grâce à mon travail, j’avais l’ambition d’y arriver avec le temps. Mais tout est allé très vite. Je vis ici au Domaine de Luchin, je m’y plais, j’ai tout ce qu’il faut, je ne manque de rien.

En quoi le football français est-il différent de ce que tu as connu au Cameroun ?

Déjà, il y a les terrains. Ici, ils sont tous bons. En Afrique, beaucoup de terrains sont sableux, avec des bosses et des petites collines, du gazon d’un côté du stade et pas de l’autre. Parfois, il y a même du gravier. Si tu tombes, tu peux te blesser. Les appuis ne sont donc pas les mêmes. Dans le jeu aussi, c’est différent. Au Cameroun, il y a beaucoup d’impact physique, de duels, beaucoup de chocs. En Europe, certains arbitres vont siffler, mais là-bas, ça ne se siffle pas. Je m’habitue à régler ces choses-là.

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Juste avant de partir pour la France, tu as rencontre Samuel Eto’o, une légende du football africain, aujourd’hui Président de la Fédération Camerounaise de Football. Peux-tu nous dire ce qu’il t’a dit. Quels ont été ses conseils ?

Quand j’ai rencontré Samuel Eto’o, il a d’abord parlé au Président de l’académie puis il s’est adressé à mon papa, mais je n’ai pas bien compris, ils parlaient en Bassa. Ensuite, il s’est avancé vers moi et m’a dit : « Fils, va faire ce que tu sais faire. Va faire en Europe ce que tu nous a montré ici au pays et n’oublie pas que comme tes parents te l’ont déjà dit, la magie n’existe pas. Seul le travail paye. Ce n’est qu’en travaillant que tu gagneras ta place. » C’est vrai, mes parents m’ont toujours dit ça aussi. Je l’ai remercié pour son conseil et je lui ai dit l’ambition que j’avais au cœur qui serait, un jour, de gagner la Coupe d’Afrique ou la Coupe du Monde avec mon pays. Ce n’est pas encore pour maintenant, mais c’est mon rêve.

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« La magie n’existe pas. Seul le travail paye. Ce n’est qu’en travaillant que tu gagneras ta place »

Justement, la sélection, parlons-en. Tu y penses ?

Non, pas encore. Quand j’étais petit, je ne pensais qu’à jouer au foot. Jouer, jouer, jouer. Montrer que mon équipe est la meilleure, que je ne suis pas seul, qu’autour de moi il y a 25 joueurs qui m’aident et que j’aide. Il n’y a que ça qui comptait. Donner des passes, aller de l’avant avec le ballon pour mettre mes coéquipiers dans le confort. Après, la sélection a commencé à arriver. J’ai été appelé avec les U17 du Cameroun. Je devais jouer la CAN U17 au Maroc, mais elle a été annulée par le Covid. Et puis je suis arrivé au LOSC. J’ai fait ce qu’il fallait faire avec mes coéquipiers en Pro 2. Ils m’ont aidé à progresser, tout est allé très vite. Et là j’ai reçu des minutes avec les pros. Le coach m’a fait confiance, je joue, je travaille, je ne me plains pas. Mais sur les réseaux sociaux, j’ai lu des Camerounais dire qu’ils me voulaient dans l’équipe pour la Coupe du Monde. Mais moi, ce n’est pas vraiment ça que j’ai en tête. Pour moi, c’est de jouer, d’avancer, de progresser, d’améliorer mon jeu. Je n’ai que 18 ans, j’ai le temps, je ne veux pas me précipiter. Je veux que mon équipe gagne les matchs, que tout le monde soit heureux. Donc non, actuellement, je ne pense pas à la sélection.

Tu l’as dit : après quelques mois dans le groupe Pro 2, tu as basculé chez les pros depuis la fin de saison dernière. Comment as-tu vécu cette nouvelle étape ?

Ça a été un gros changement parce que chez les professionnels, une petite erreur commise, ça fait but derrière. En Pro 2 aussi, mais disons qu’on peut encore parfois se rattraper. En Ligue 1, ça va plus vite. En plus, je joue dans l’axe, donc si je commets une erreur, ça part tout de suite au but derrière. Je pense avoir réalisé une bonne prépa’ l’été dernier, j’ai vraiment donné le meilleur de mon niveau. Le coach ma ensuite offert mes premières minutes en Ligue 1, lors du premier match face à Auxerre (4-1, 07/08). Je n’étais pas du tout stressé. La seule chose que j’avais en tête, c’était la joie de jouer, de montrer que je pouvais aider l’équipe à gagner. Ce n’est qu’après le match que je me suis rendu compte que je venais de réaliser l’un de mes rêves, celui de jouer dans un grand stade, avec des supporters, de beaux encouragements. C’est quelque chose que j’ai toujours voulu quand j’étais petit.

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Comment gères-tu cette nouvelle notoriété, toi qui, il faut le rappeler, n’a que 19 ans et ne vit en France que depuis un an ?

Au début, je ne savais pas trop comment prendre tout ça. Je suis quelqu’un qui a un grand cœur, qui aime bien parler aux gens et dire ce qu’il ressent. Alors je répondais à tout le monde. Mais j’ai reçu quelques conseils et j’ai compris que je ne pourrais pas répondre à tous les messages que je reçois. Maintenant, je lis, je regarde et je traverse. Je n’ai pas le choix, ça pourrait me déconcentrer. Au départ, le football était une passion, un jeu. Mais après, ça devient un métier. Il faut de la concentration pour aller là où on veut aller. Je préfère avancer dans mon métier.

De ta courte (mais prometteuse) carrière au LOSC, quel est ton meilleur souvenir jusqu’à présent ?

(sans hésiter) La victoire dans le Derby (1-0, 09/10/22) ! C’était mon premier derby et je l’ai joué comme un match qu’il est interdit de perdre. J’étais déterminé. Et ce qui m’a encore plus galvanisé, c’était de jouer contre un milieu de terrain de la trempe de Seko Fofana. Il est très fort, c’est un vrai joueur box to box. Je ne pouvais pas laisser passer cette occasion de me confronter à lui. Donc quand je suis entré en jeu, il y avait tout ça mêlé, avec au bout, le bonheur de participer à la victoire.

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En quoi le Carlos Baleba d’aujourd’hui est-il meilleur que celui qui est arrivé à Lille il y a un an ?

Je pense surtout avoir progressé dans le domaine défensif et tactique. Offensivement, je percute, je fais des passes, je casse des lignes. Ça je l’ai toujours fait. Mais défensivement, tactiquement, je peux le dire, c’était nul, zéro. J’ai progressé dans ces aspects, mais je dois encore progresser.

Justement, dans quels domaines penses-tu devoir t’améliorer en priorité ?

Dans tout ! Faire encore plus pour évoluer dans tous les aspects que j’ai déjà et dans ceux que je n’ai pas encore. Je dois être capable de perdre moins de ballon dans un match, par exemple. Gommer mes déchets.

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