L'interview

À quoi ressemble la vie d’un joueur pro à FIFA ?

Cette semaine, un camp d’entraînement de l’équipe eSport du LOSC x Vitality s’est tenu au Domaine de Luchin. L’occasion pour RocKy et DaXe, nos deux joueurs FIFA, ainsi que pour Brian, leur entraîneur, de nous parler de leur quotidien de joueur et coach professionnel d’eSport. Interview croisée.

Pouvez-vous vous présenter ?
RocKy : Corentin Chevrey. Mon pseudo, c’est RocKy. J’ai 25 ans, je suis originaire de Besançon et je suis joueur chez Vitality depuis plusieurs années. Et cette saison, je défends les couleurs du LOSC.

Brian : Brian Savary, pseudo Bryan, j’ai 29 ans, je suis originaire de Normandie. Je suis un ancien joueur pro reconverti en tant que coach et manager chez Vitality et donc également représentant du LOSC.

DaXe : Je m’appelle Lucas Cuillerier, j’ai bientôt 23 ans et je viens de Beauvais. Je suis joueur pro de FIFA depuis 8 ans, et c’est ma deuxième année chez Vitality.

Quand on est joueur eSport à FIFA, on commence par aimer le foot puis un jour, on bascule sur la console ? Ou alors on aime d’abord la console, puis on se met peu à peu à aimer le foot ?
RocKy : Je dirais que ça dépend de chacun. Pour ma part, j’ai toujours été fan de foot. Donc forcément, quand tu aimes ça, tu joues à des jeux de foot et à l’heure actuelle, le meilleur c’est FIFA.

Brian : Je pense que c’est un peu la trajectoire de tous les joueurs FIFA. On a d’ailleurs tous les trois fait du foot quand on était petit.

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Le fait de connaitre ce sport aide-t-il à être bon à FIFA ?
DaXe :
Un minium, peut-être pour la vision du jeu ou l’anticipation. Mais je ne pense pas que ça aide forcément plus que ça. Je connais plusieurs joueurs pros à FIFA qui ne connaissent pas le foot.

Brian : Sur FIFA, il existe plusieurs façons de jouer, plusieurs styles. Certains nécessitent de connaitre le foot, mais il y a aussi des manières de jouer qui ne ressemblent pas au « vrai foot » et qui s’avèrent malgré tout efficaces.

Inversement, le fait d’être bon à FIFA vous rend-il meilleur sur un terrain ?
Tous les trois: (sans hésiter) Ah non, non, vraiment pas (sourires).

"Je n’ai pas vraiment eu le temps de me poser la question d’en faire mon métier"

 Quand vous regardez un match à la télé, quel genre de football aimez-vous voir ?
DaXe : Pour ma part, je dirais le football « à la Barcelonaise », avec un redoublement de passes, de la possession. Et c’est d’ailleurs notre identité de jeu à RocKy et moi, et même à Brian lorsqu’il était joueur. Je trouve que les styles à FIFA varient aussi beaucoup selon les nationalités. Les Anglais sont par exemple beaucoup portés vers l’avant.

Brian : C’est vrai. Et les Allemands sont plutôt adeptes des centres. La France a historiquement un jeu plutôt basé sur la possession et les Anglais, comme dans le foot en général, aiment le kick and rush. Je pense que c’est une question de culture, de mentalité. Après il y a forcément des exceptions dans tous les pays.

RocKy : J’ai moi aussi un style de jeu que j’aime voir en vrai, c’est-à-dire basé sur la possession, avec beaucoup de passes courtes, de redoublements . Mais c’est vrai qu’il existe dans le jeu de petites mécaniques qui fonctionnent et qu’on est obligé d’utiliser pour performer au haut niveau, même si ce n’est pas ce qu’on aime voir sur un terrain.

Brian : C’est ce qu’on appelle la meta du jeu. On parlait des centres allemands. Il y a justement un Allemand qui a inventé l’année dernière un centre très, très fort. Depuis, ce geste porte son pseudo, c’est la « Bene » et tout le monde est obligé de l’utiliser car il est vraiment efficace, même si on ne l’aime pas spécialement.

Mais au fait, comment devient-on joueur FIFA professionnel ?
DaXe : Personnellement, j’ai toujours été fan de jeux vidéo et j’étais d’ailleurs plutôt bon dans plusieurs de jeux. J’étais même assez chaud à Call Of Duty, par exemple. Puis je me suis mis à jouer de plus en plus à FIFA. Vers 12 ou 13 ans, je me suis fixé l’objectif de devenir champion du monde, donc j’ai joué encore plus, avec mes frères, mes amis, puis dans des tournois en ligne et j’ai gravi les échelons. Je n’ai pas vraiment eu le temps de me poser la question d’en faire mon métier. Je me suis fait repérer, puis sélectionner. En deux semaines, je suis passé d’aucun contrat à un contrat au PSG et un statut de champion du monde.

RocKy : Pour nous qui sommes issus de l’ancienne génération, nous avons connu une trajectoire peut être différente de ceux qui arrivent aujourd’hui avec l’objectif de devenir pro. Moi, quand j’ai commencé, aucun joueur en France ne pouvait vivre de ça. Je jouais juste par plaisir, je m’offrais parfois de petits tournois à Londres, mais j’avais 16 ans, je faisais surtout ça pour kiffer. Et puis ça a commencé à se développer, j’ai essayé de me donner à fond et ça a commencé comme ça.

aLa question épineuse, mais comment annonce-t-on à sa famille qu’on veut arrêter ses études pour devenir joueur professionnel à FIFA ?
Brian : (il sourit) J’en garde un souvenir horrible ! Quand j’ai voulu être pro, donc en 2014, j’étais encore à l’école d’infirmier et on me proposait un contrat chez Vitality. À l’époque, ce n’était pas comme aujourd’hui. On m’offrait 500 ou 600€, donc pas assez pour en vivre. Mais je sentais vraiment que j’étais capable de faire quelque chose. Donc un jour, je dis à ma mère : « écoute maman, j’ai envie d’arrêter l’école. Je vais me consacrer pendant une année aux jeux vidéo, me mettre à fond dedans, quitte à reprendre l’école après si ça ne se passe pas bien ». Ça a été compliqué pour elle. On s’est bien disputé, on ne s’est pas parlé pendant deux mois. Au final, j’ai cru en moi, j’ai réussi à en vivre. Les premières compétitions commençaient à passer à la télé, sur L’Equipe 21. Là, mes parents se sont rendu compte qu’il ne s’agissait pas seulement de jouer à la console et ils ont fini par accepter.

Combien de temps dure une carrière de joueur pro à FIFA ? Voit-on son niveau décliner à un moment, comme un véritable joueur de foot ?
Brian : Je pense qu’il n’y a pas vraiment de vérité. Alors oui, les réflexes déclinent un peu avec l’âge, c’est vrai. Mais à FIFA, ce coté là n’est pas très présent, contrairement à d’autres jeux. C’est avant tout une question de motivation, car c’est très dur de se maintenir au haut niveau. On voit souvent des joueurs faire une année incroyable, puis connaître un relâchement ou un abus de confiance. Il y a énormément de concurrence. Dans mon cas, j’avais moins envie de jouer, un peu la tête à autre chose et j’ai décidé d’arrêter car je ne prenais plus de plaisir dans ce rôle-là. De l’extérieur on ne s’en rend pas forcément compte, mais quand tu joues autant que nous, dans des matchs à pression et à enjeux, ça peut créer de la frustration et il faut pouvoir la supporter.

À quoi ressemble une journée type pour un joueur eSport professionnel ?
RocKy : Nous nous entraînons dans les locaux de Vitality, au Stade de France. Souvent avec DaXe, on aime aller à la salle de sport en début d’après-midi, avant de s’entraîner de longues heures entre nous et contre d’autres joueurs pros. On y teste des tactiques, des formations, des joueurs sur le mode FIFA Ultimate Team. On essaye de travailler sur des points bien précis. Brian, notre coach, est là aussi pour nous guider.

DaXe : Il y a également une partie vidéo. Les lendemains de matchs d’eLigue 1, par exemple. On revoit nos rencontres pour savoir ce qu’on a fait de bien et de moins bien. On observe aussi nos futurs adversaires.

Brian : Quand tu affrontes un joueur, tu dois t’y préparer. Si tu tombes sur un adversaire qui joue en profondeur, tu dois changer ta façon de défendre, par exemple. C’est aussi mon rôle de préparer les joueurs à ça.

RocKy : Les jours de tournoi, on joue très peu, on essaye de faire seulement un ou deux matchs avant le début de la compétition, pas plus. Sinon, on se fatigue, on s’use mentalement à force d’enchaîner.

aUne façon de garder un peu du plaisir aussi, peut-être ?
Brian :
Complètement ! Le risque, quand tu joues énormément aux jeux vidéo, c’est de prendre moins de plaisir. Or c’est important d’en garder pour être bon, je pense. Il y a des périodes ou on a besoin de couper un peu, comme pendant l’été, avant la sortie du nouveau jeu.

Quelles sont vos grosses échéances cette saison ?
RocKy : Durant toute la saison, il y a la eLigue 1, un championnat entre 13 des 20 clubs de Ligue 1. Tout le monde s’affronte. À chaque journée, il y a trois matchs : deux en un contre un, puis on s’affronte en duo. Une victoire rapporte un point. En cas de nul, c’est prolongations, puis tirs au but. Les 6 premiers au classement se qualifient pour les playoff, puis se départagent en phase finale jusqu’à désigner le champion de France. Actuellement, nous sommes 6èmes avec un match de moins que certaines équipes. C’est très serré. Il y a ensuite la FIFA eClub World Cup, une Coupe du monde en circuit 2 contre 2. L’année dernière, nous étions les seuls Français qualifiés. Il y a également le circuit un contre un avec des qualifications toute l’année à travers des tournois.

DaXe : En résumé, il y a trois coupes du monde par an : une en solo, une en club et celle avec l’Équipe de France. S’y qualifier est difficile, mais le niveau est tellement serré qu’une fois que tu y es, tout est possible. Sur un tournoi, tout le monde peut gagner.

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Vous êtes actuellement en stage au Domaine de Luchin. Ça vous fait quoi de découvrir la maison des Dogues ?
RocKy : Nous étions déjà venus une fois. C’est très grand et assez incroyable ici. Ça me fait beaucoup penser à Clairefontaine, ça y ressemble pas mal en termes de cadre. On est content d’être ici au LOSC, un club qu’on prend plaisir à regarder jouer sur le terrain. Nous étions en tribunes contre Lyon (3-3). J’espère que l’équipe ira chercher la qualification pour une compétition européenne.

Quel serait votre conseil à un jeune qui voudrait devenir joueur FIFA professionnel ?
Brian : Devenir pro aux jeux vidéo, c’est un peu comme vouloir devenir footballeur ou chanteur : c’est un métier de rêve que beaucoup de gens veulent faire, mais dans lesquels il y a peu d’élus. Le conseil que je donnerais serait de croire en ses rêves, de tenter sa chance à fond, mais de garder les pieds sur terre, de rester sérieux à l’école. Ça fait peut-être cliché de dire ça, mais c’est important.

RocKy : C’est vrai. Il persévérer sans délaisser l’école. Essayer de conjuguer les deux le plus longtemps possible. Il y a je pense une part de talent pour les jeux vidéo. Pour ma part, depuis que je suis petit, j’ai toujours battu tous mes potes à FIFA, avant même de m’entraîner. Ensuite il y a le travail, évidemment, mais à la base, certains doivent avoir des facilités.

Brian : Il y a peut-être aussi le fait que tous les trois, nous avons toujours baigné dans l’univers des jeux vidéo.

RocKy : Oui, c’est vrai. Mais tu sais, moi j’ai des potes qui ont aussi baigné dans ce monde-là et qui sont nuls à tous les jeux (rires). Ils ont beau jouer à tous les jeux possibles, ils ne sont jamais forts.

DaXe : J’ai moi aussi remarqué que quand tu es joueur pro à un jeu, tu es facilement plus fort à tous les autres jeux auxquels tu joues.

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