L'interview

À la découverte du vrai Bafo’

Il y a quelques mois encore, le public lillois ne le connaissait pas. Mais il n’a pas fallu très longtemps aux amoureux du LOSC pour savoir à qui ils avaient affaire. Lui, c’est Bafodé Diakité, ou la polyvalence au service de l’humilité, du travail et de la détermination. Partons ensemble à la découverte du vrai Bafo’.

Parle-nous un peu de toi, de ton enfance, de ton parcours, toi le Toulousain qui est venu vivre dans le Nord…
(il sourit) Comme tu l’as dit, je suis originaire de Toulouse. Tu ne trouveras d’ailleurs pas plus pur Toulousain que moi. J’ai grandi au Mirail (un quartier situé au sud-ouest de la ville). C’est là-bas que j’ai commencé le foot, avec mes copains d’abord, puis en club à partir de 6 ans. Mais à la base, je n’étais pas un grand fan de foot, en tout cas pas en club. Je n’avais pas forcément d’idole. Moi, ce que j’aimais surtout, c’était jouer avec mes copains à l’école, ou plutôt après l’école, au CLAE, une sorte de garderie-centre aéré, entre 16 et 18 heures. J’aimais ce football-là, sans arbitre, sans coach, sans règles. L’équipe qui marquait était qualifiée et restait sur le terrain. Que du jeu, que du plaisir.

Diakité

Pour toi, c’est ça la clé ? Le plaisir du ballon avant tout ?
Oui, clairement. Comme tout le monde par chez moi, j’ai commencé à jouer sur les city. J’étais souvent le "petit" qui jouait avec les grands. C’est là que tu apprends les bases, que tu travailles ta technique, ta précision, que tu progresses dans ta prise de décisions sur des petits espaces. Tu dois savoir ce que tu vas faire du ballon avant même de le recevoir. Et puis quand tu te débrouilles bien, les grands veulent que tu joues avec eux, alors tu progresses.

Et le foot en club, dans tout ça ?
C’est mon grand frère qui m’a inscrit. Il jouait au TAC (Toulouse Athlétic Club), un bon club de quartier, avec de bons éducateurs. Il m’a emmené avec lui, c’était naturel. À 12 ans, j’ai été repéré par le Téfécé. Mais je ne vivais déjà plus au Mirail, j’étais en internat, à Boulogne-sur-Gesse à une heure de Toulouse. C’est ma maitresse de CM2 qui avait proposé ce projet scolaire à ma mère, pour mieux me concentrer sur l’école. Car quand tu grandis dans des quartiers populaires, tu as plus de risques de changer de trajectoire. Ma mère a accepté et j’ai fait mon entrée en sixième là-bas. Je ne m’entrainais donc plus avec mon club la semaine, mais je jouais les matchs le week-end. À l’école, tout se passait bien. Alors quand le Téfécé a proposé à ma famille que j’intègre la préformation, donc que je change de collège, au départ elle n’était pas trop pour. Mais le club a accepté de me prendre dès l’âge de 12 ans (au lieu de 13 habituellement). Alors j’y suis allé.

Te voilà donc joueur du Toulouse FC, le grand club de ta ville. Quand on a 12 ans, comment vit-on cette petite notoriété à l’école, avec les copains ?
(il réfléchit) Franchement, je le gérais plutôt bien. J’avais déjà des amis qui jouaient depuis un an ou deux au Téfécé, donc ça n’a pas été difficile pour moi de m’y intégrer. C’est vrai que quand on est petit, c’est quelque chose d’être recruté et de jouer par un club pro. On est content, on est fier, mais ça doit rester discret. Par exemple, dans le collège où nous étions, nous n’avions pas trop le droit de venir avec des vêtements du club, pour ne pas faire d’envieux. On sait que beaucoup d’enfants aimeraient être à notre place. Il faut garder la tête sur les épaules.

Le 5 décembre 2018, tu as 17 ans quand tu es lancé en Ligue 1 (face à Reims). Là encore, tu vas certainement me dire qu’il faut garder la tête sur les épaules…
(il se marre) Comme tout le monde, j’ai vécu mon premier match avec une petite pression, c’est normal. Mais la période était difficile pour le club (Toulouse était alors 15ème de L1, à 2 points de la zone rouge). Le coach (Alain Casanova) me l’a enlevée. Il m’a parlé, m’a annoncé que j’allais débuter la rencontre et que je ne devais pas me mettre de pression, que je n’avais pas à être le héros de l’équipe, que je devais simplement montrer ce que je montrais à l’entraînement. J’ai donc fait mon match, tout s’est bien passé, on a même gagné (0-1) alors qu’on restait sur 12 rencontres sans victoire.

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Bafo', seulement 17 ans, est lancé dans le grain bain de la Ligue 1 en 2018

Et pour ta troisième apparition en Ligue 1, le 22 décembres 2018, tu entres en jeu contre le LOSC, ici à Lille, pour les dernières minutes d’une rencontre que vous gagnez (1-2) face à une équipe lilloise qui terminera dauphin du PSG quelques mois plus tard…
Je m’en souviens très bien. Après le match, dans le vestiaire du Stade Pierre Mauroy, je me suis jeté dans le bain qui se situe dans le vestiaire. Je me revois faire des plongeons dedans. Tout seul (il se marre). J’étais jeune, c’était ma première victoire contre un "gros" en Ligue 1, ça m’a marqué.

Tu ne disputes pas le match retour, mais la saison suivante, tu es cette fois titulaire pour la réception du LOSC au Stadium. Et là encore vous l’emportez (2-1, 19/10/19). Décidément, ton futur club te réussissait bien…
Oui (sourire) Je me suis justement fait la réflexion récemment. Je crois même que j’ai 100% de victoires contre le LOSC, non ?

Eh bien figure toi que… Non. Au retour, le LOSC gagne 3-0 à domicile (22/02/20). Et tu étais sur la pelouse ce soir-là (clin d’œil).
Ah oui, c’est possible. Je l’ai vite effacée de ma mémoire celle-là (il rigole).

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Le Stade Pierre Mauroy ? Il y a déjà gagné, mais aussi perdu face au LOSC.

À la fin de cette saison-là, qui avait été interrompue en raison du Covid-19, le Téfécé est malheureusement relégué en Ligue 2. As-tu ressenti une forme d’injustice de descendre sans avoir pu aller au bout du championnat ?
Oui et non. Bien sûr que c’est douloureux de descendre. Pour les joueurs, pour les supporters, pour tout le monde. Mais le fait d’avoir vécu cette relégation après la décision assez tardive d’arrêter le championnat a rendu la nouvelle moins dure à encaisser, je pense. Si ça avait été une descente sur le terrain, en finissant la saison, je pense que ça aurait été encore plus difficile. Disons que là, on a eu le temps de voir les choses venir au fil des semaines. On attendait des nouvelles du Gouvernement et un jour, voilà, c’est tombé.

Tu avais alors 19 ans, 25 matchs de Ligue 1 dans les jambes et une belle réputation naissante. Tu aurais pu partir pour un autre club de l’élite. Mais tu as décidé de rester au Téfécé, en Ligue 2. Pourquoi ?
Pour moi, la place du Téfécé est en Ligue 1. Je suis Toulousain, je suis un enfant du club, il me restait des années de contrat. Donc dans ma tête, c’était clair, je voulais remonter, pour qu’en cas de départ plus tard, je puisse partir en me disant que j’avais fait les choses bien.

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Le 17 septembre dernier, il a retrouvé ses anciens partenaires avec le maillot du LOSC sur les épaules, pour une victoire (2-1) à la clé.

Tu découvres alors la Ligue 2. La première saison (2020-2021), vous ratez la montée sur le fil (défaite aux Barrages contre Nantes), puis vous montez la suivante (2021-2022). En quoi ce championnat est-il différent de la Ligue 1 ?
Ce n’est pas du tout le même football. Je dirais même que sur certains aspects, c’est plus compliqué en Ligue 2. Par exemple, la plupart des équipes vont presser sur tout le terrain, tandis qu’en Ligue 1, le pressing ne se concentre que dans certaines zones bien précises. Tu as donc moins de temps en L2 qu’en L1 quand tu as le ballon. Je ne suis pas certain qu’un joueur bon en Ligue 1 arriverait forcément à l’être en Ligue 2.

Comme tu l’avais planifié, tu as quitté Toulouse par la grande porte, sur un retour en Ligue 1 l’été dernier. Qu’as-tu ressenti ?
Pour moi, dans ma tête, je me dis que je suis parti au bon moment. Le Téfécé revient en Ligue 1, à sa place et moi, j’ai participé à cette épopée. J’ai tout connu au club, le centre de formation, la Ligue 1, la relégation et je pars sur un titre de champion de Ligue 2. Je ne pouvais pas faire mieux.  

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Premier Derby du Nord et... Première victoire.

Tu as donc vécu ton premier transfert, mais aussi le départ du foyer familial pour partir vivre à l’autre bout de la France. Comment l’as-tu vécu ?
J’ai d’abord été dépaysé car je ne connaissais pas du tout la région lilloise. Après, on reste dans le même pays, dans le même championnat, avec la même langue. Mais c’est forcément différent. À Toulouse, je connaissais certains joueurs depuis mes années au centre de formation. Ici, je n’avais croisé que Momo Bayo et Lucas Chevalier, en Ligue 2 ou en sélection. Tout s’est bien passé, j’ai été parfaitement intégré. Les gens sont vraiment sympas. J’ai d’ailleurs été surpris. Dans le sud, quand on parle du nord, on a l’image de Paris, du côté assez froid. Mais quand on arrive ici, on se rend compte que ça n’a rien à voir. Ce n’est pas un cliché, les gens du Nord sont vraiment accueillants.

Sur le terrain, comment te sens-tu dans ta nouvelle équipe ?
Très bien aussi. J’essaye de faire en sorte d’être utile à l’équipe, de l’aider. On connaît les attentes du Club. Quand on est footballeur, on a toujours cette envie de gagner, de viser haut. Ici, il y a cet objectif partagé par tout le monde de jouer le haut de tableau. On sent beaucoup d’envie dans le groupe, chacun veut montrer le meilleur de lui-même. Le niveau est élevé et c’est tant mieux pour la concurrence, ça pousse chacun à être performant.

"Dans le sud, quand on parle du nord, on a l’image de Paris, du côté assez froid. Mais quand on arrive ici, on se rend compte que ça n’a rien à voir. Ce n’est pas un cliché, les gens du Nord sont vraiment accueillants"

DiakitéParmi tes qualités sur le terrain figure la polyvalence. Tu es capable de jouer à droite, à gauche, mais aussi dans l’axe de la défense. As-tu toujours eu cette caractéristique ?
C’est venu progressivement. Tout petit, je jouais défenseur central. À partir de U17, on a parfois commencé à me décaler à droite. Mais mon premier match en Ligue 1, je l’ai fait en piston droit, pour me donner moins de pression que dans l’axe où les responsabilités sont plus grandes. Je savais que si je montais, j’avais quelqu’un derrière moi. En plus, je le connaissais bien, c’était Kelvin Amian que j’avais connu au centre. J’ai joué partout en défense : à droite, dans l’axe, à gauche, en piston… Pour moi, c’est un avantage. Mon pied gauche ? Ça va. Je suis plutôt à l’aise. Bon, comme tout droitier, j’ai tendance à rentrer dans l’axe, mais si je dois utiliser le gauche, je ne vais pas hésiter.​En septembre dernier, tu as connu ta toute première sélection en Équipe de France Espoirs (contre la Belgique, 2-2). Un moment forcément spécial, j’imagine.
Je vais en sélection depuis les U16, mais c’est vrai que la première convocation chez les Espoirs, ça fait quelque chose. Surtout que quand tu croises les A à Clairefontaine. Alors bien sûr, tu ne te dis pas que tu en es proche, car l’écart est immense entre les A et les Espoirs, mais disons que tu es sur la bonne voie, que tu dois continuer de travailler. Car tu constates aussi qu’il y a de très bons joueurs chez les Espoirs et qu’au moindre relâchement, tu seras remplacé par un autre.

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Première sélection chez les Espoirs, le 26 septembre dernier au Stade du Hainaut de Valenciennes, contre la Belgique

En plus d’être Français et international, tu es aussi Guinéen par tes parents. Quelle relation as-tu avec ce pays ?
C’est mon pays d’origine. J’espère y retourner bientôt, car plus je grandis, plus les vacances sont courtes et plus il est difficile d’y aller. Une partie de ma famille vit là-bas. J’aimerais les voir plus souvent si je pouvais. Mais en général, quand je m’y suis rendu, c’était pour de longues périodes. Parfois, on parle de la Guinée avec Mohamed Bayo. On a la même langue, le Diakanké, alors il arrive qu’on se lâche quelques petits mots entre nous (il sourit).

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