​Benjamin André, le LOSC dans le 100

PAR MAXIME POUSSET

Ce samedi face à Troyes (2-1), Benjamin André, 31 ans, a disputé son 100ème match sous le maillot du LOSC, toutes compétitions confondues. Un cap symbolique forcément marquant pour l’hyperactif milieu de terrain lillois. L’occasion de remonter avec lui le fil de sa carrière, entre rêves d’enfant des années 90, formation corse et passion pour les duels gagnés.

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On a souvent tendance à l’oublier, mais derrière chaque footballeur professionnel se cache d’abord un gamin qui adorait jouer au foot quand il était petit. Et toi, elle te vient d’où ta passion pour le ballon rond ?
(il réfléchit) Je ne me suis jamais vraiment posé la question. Quand on était jeune, on n’avait que ça, un ballon avec lequel on jouait partout, dans la rue, à l’école, dans la cour, devant la maison. J’ai commencé très jeune en club, mais c’est surtout à l’extérieur que je jouais le plus avec les copains. C’est ce qui prenait le plus de temps dans ma vie. À l’époque, il n’y avait pas internet, pas de téléphone. Nous, on jouait dehors et tout s’est fait naturellement. Le foot était quelque chose d’omniprésent pour moi, mais je pense que ça l’était aussi pour tous les jeunes de ma génération.

Es-tu issu d’une famille de footballeurs ?
Non, pas du tout. Mon grand-père a joué à un certain niveau en amateur, sur le plan local, mais pas plus. Je pense que ma passion pour le foot vient aussi de la période dans laquelle j’ai grandi. Je suis né en 1990, j’avais donc 8 ans en 1998 quand la France a gagné la Coupe du Monde. Il y avait dans le pays un engouement extraordinaire pour le foot à ce moment-là. Tout le monde se mélangeait, tout le monde jouait ensemble, n’importe où.

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Avais-tu pour autant ce rêve de devenir footballeur professionnel ?
Non. Enfin disons que je ne me posais pas la question. Je dirais que le foot est vraiment devenu sérieux quand je suis entré au centre de formation d’Ajaccio, en 2006. Avant ça, j’étais un gosse, donc oui, je rêvais quand je regardais des matchs de Coupe d’Europe à la télé, ou les rares fois où je suis allé dans un stade. C’était surtout ce monde-là, cette médiatisation, qui me faisait rêver. Mais ce n’est que bien plus tard que j’ai réellement envisagé en faire mon métier.

Alors justement, quels joueurs ou clubs te faisaient rêver ?
Il n’y en avait pas vraiment, en fait. Pourtant je suis du sud, donc par chez moi, c’est souvent l’OM. Mais je n’ai jamais ressenti cette attirance vers un club. J’étais surtout porté par les épopées. Je pense vraiment que ce qui m’a le plus marqué, c’est cette Coupe du Monde 98 et l’Équipe de France. C’était incroyable. Même ceux qui, dans la famille n’en avaient rien à faire du foot, s’intéressaient au sujet. Tout le monde faisait la fête. Donc je répondrais Zinedine Zidane, évidemment et toute sa génération, puis les Ronaldo, Beckham, Figo, Ronaldinho…

Reprenons le fil de ton parcours. Tu as 15 ans quand tu rejoins le centre de formation de l’AC Ajaccio. Comment as-tu vécu ce changement dans ta vie, toi qui as grandi sur la Côte d’Azur ?
Je ne suis pas parti en terre inconnue. J’avais déjà des attaches en Corse quand j’ai rejoint Ajaccio. Mon quotidien a beaucoup changé, c’est vrai. Quand tu entres au centre de formation, tu ne dors plus chez toi dans ta chambre, dans ton cocon. Tu te retrouves en collectivité avec 25 autres gamins de ton âge ou même plus âgés. Il faut s’occuper de tout soi-même. Ta mère n’est plus là pour laver ton linge, pour te faire à manger. C’est plus ce changement-là qui a été important. Ça te fait grandir, tu deviens mature plus rapidement, car tu dois aussi gérer les papiers, discuter les contrats…

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Très vite, à seulement 18 ans, tu es lancé chez les pros. Physiquement, mentalement, étais-tu alors prêt à affronter un football d’adultes ?
C’est allé très, très vite. Je n’ai pas vraiment eu le temps de réfléchir. J’ai fait une première saison en 16 ans (2006-2007) qui n’a d’ailleurs pas été très bonne, puis une deuxième en 18 ans (2007-2008) beaucoup plus réussie. On devait être le 20 juin, donc vraiment en toute fin de saison, quand Gernot Rohr, l’entraîneur des pros, vient assister à une opposition. À la fin de la séance, il vient me voir et me dit : « Bonjour, je suis l’entraîneur des pros. On reprend le 27 et tu viens avec nous ». Puis il s’en va. Je suis très surpris. Je ne pars donc pas en vacances et une semaine après, je suis donc avec les pros pour la reprise. L’ACA est un club ultra-familial, le rapport avec les autres est différent. Je jouais avec Thierry Debès, on avait presque 17 ans d’écart et pourtant, tout était très fluide, la mentalité était vraiment "à la cool", il n’y avait pas de différence entre les uns et les autres. Les pros m’ont donc très bien accueilli. Tout ce que je pouvais prendre, je croquais dedans.

"J’aime ce sentiment de gagner sur mon adversaire direct"


Sur le terrain, tu fais rapidement émerger un attribut qui te caractérise encore aujourd’hui : ta capacité à enchaîner les matchs. Comment expliques-tu qu’à un poste comme le tien, où l’effort est intense, tu arrives autant à enchainer ?
J’ai besoin de jouer souvent, j’ai un corps qui a besoin de répéter les efforts, d’enchaîner les matchs pour se sentir bien. Je ne saurais pas l’expliquer, ça a toujours été comme ça. Je m’entraîne pour ça et mon corps me le permet. J’espère que ça durera le plus longtemps possible.

Tu es aussi connu pour être chaque saison l’un des joueurs de Ligue 1, sinon LE joueur de Ligue 1 qui remporte le plus de duels (en 2021-2022, il a déjà remporté 150 duels. Personne en L1 ne fait mieux). C’est une qualité ancrée en toi ?
J’ai une caractéristique qui fait que j’aime les duels, j’aime récupérer les ballons. Après, mon poste fait aussi que j’en dispute énormément. J’aime ce sentiment de gagner sur mon adversaire direct. Je pense que si dans un match complet, les onze joueurs d’une équipe remportent tous leurs duels, on augmente forcément nos chances de l’emporter.

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Face à Troyes ce samedi, tu vas atteindre les cap des 100 matchs disputés sous le maillot lillois. Ça représente quoi pour toi ?
Je le vis assez naturellement. Je n’ai pas connu énormément de clubs dans ma carrière. Une fois que je me sens bien quelque part, je m’engage dans un projet sur la durée, je ne pars pas après six mois ou un an, tout est murement réfléchi. Et c’était le cas en venant au LOSC. Atteindre les 100 matchs sous ce maillot, c’est évidemment une grande fierté, car ça veut dire que je joue, que je performe. Je suis aussi très heureux de franchir ce cap pour la troisième fois avec mon troisième club (206 avec Ajaccio et 184 avec Rennes). Je ne pense d’ailleurs pas qu’il y en aura énormément d’autres derrière.
 

"Il n'y a pas de doute, j'ai fait le bon choix en venant au LOSC"

 


Le LOSC, parlons-en, justement. En 2019, tu es capitaine du Stade Rennais, tu viens de remporter la Coupe de France, de vivre une épopée en Europa League et tu choisis de venir ici, à Lille. Pourquoi ce choix ?
En partant de Rennes, je prenais un risque. J’étais dans mon confort, je pense que j’arrivais à la fin d’un cycle. J’avais besoin de voir autre chose. Le LOSC est arrivé avec un discours qui m’a séduit, qui m’a convaincu de venir. Je me souviens qu’en annonçant mon départ, certaines personnes m’avaient dit qu’il n’y aurait pas beaucoup de différences, que je ne gagnerais pas forcément plus de titre à Lille qu’à Rennes. Quand on fait le bilan trois ans après, il n’y a pas de doute que j’ai fait le bon choix. J’ai remporté un titre de champion de France, un Trophée des Champions, j’ai découvert la Champions League. C’est important dans une carrière, car ce sont des choses qui restent à la fin. Et je n’oublie pas que c’est le LOSC qui m’a permis de réaliser tout ça. J’y ai contribué du mieux que je pouvais."

En venant porter ce maillot, tu as aussi découvert une nouvelle région, loin de ta Côte d’Azur natale. Comment as-tu accueilli cette nouvelle vie dans le Nord où tu résides depuis maintenant trois ans ?
J’ai été agréablement surpris par la gentillesse des Nordistes. Je sais que c’est un cliché, mais certains clichés sont vrais. On dit des gens du Nord qu’ils sont très sympas et c’est la vérité. Dans le sud, on parle fort, on tire un peu la gueule alors qu’ici, partout où je suis allé avec ma compagne et mon fils, nous avons été bien reçus. C’est vraiment ce qui m’a marqué jusqu’à présent. On apprécie beaucoup Lille, qui est une ville agréable, bien plus grande que de là où je suis originaire, avec plein de choses à faire.

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Que penserait le jeune Benjamin André de 1998 s’il se retrouvait face au Benjamin André de 2021 ?
(il se marre) Sûrement que le chemin parcouru est fou. Quand on démarre un projet, on se dit toujours : « et si j’arrivais à gagner un trophée ? Et si j’arrivais à jouer la Champions League ? » Puis quand tu y parviens, eh bien tu te dis que c’est fait. C’est énorme, tu es content, mais tu ne repenses pas forcément à tous ces rêves d’enfant, ça devient alors un acquis. Puis tu bascules sur autre chose, sur d’autres objectifs. Mais tu es obligé, c’est le sport qui veut ça. Si tu restes bloqué sur ce que tu as réalisé, tu n’avances plus, c’est fini, tu ne performes plus. Mais évidemment que si je me retourne sur mon parcours, les cases sont cochées et bien cochées, même.

À l’inverse, si tu pouvais rencontrer ce jeune Benjamin André, quels conseils lui donnerais-tu ?
(sans hésiter) D’être moins con ! (il éclate de rire) Bon, après, ça fait partie de l’apprentissage. Evidemment, quand on dit ça, ça fait vieux rabat-joie, mais il n’y a réellement que le travail qui paye. C’est la vérité. À moins que tu aies un talent extraordinaire, tu n’y arriveras pas sans bosser. Il y a plein de choses que j’aurais aimé mieux travailler quand j’étais jeune. Mais premièrement, je ne peux pas revenir en arrière et deuxièmement, mon parcours, mes erreurs ont fait celui que je suis aujourd’hui. Je n’ai aucun regret, mais si je pouvais m’attraper par les oreilles, alors je me dirais ça.
 

 

 


Icon_LOSC_20212022_08_03.jpgBenjamin André

Né le 3 août 1990 à Nice (06)
Milieu de terrain

Clubs successifs : Stade raphaëlois (1996-2006), AC Ajaccio (2006-2014), Stade Rennais (2014-2019), LOSC (depuis 2019)
Palmarès : Vainqueur de la Coupe de France 2019 (Rennes), champion de France 2021 (LOSC), vainqueur du Trophée des Champions 2021 (LOSC)
International Espoirs français (7 sélections)