L'interview

Sur les traces d’Edon Zhegrova

Il est l’un des chouchous du public lillois, apprécié autant pour son état d’esprit que pour son sens de la percussion, du beau geste et du jeu en mouvement. Lui, c’est Edon Zhegrova et son histoire mérite qu’on vous la raconte. Entretien avec l’un des plus grands talents du football kosovar.

L’Allemagne comme berceau…

« Mes parents sont originaires du Kosovo mais sont partis vivre en Allemagne avant que la guerre n’éclate dans notre pays (ndlr : mars 1998). Pourquoi en Allemagne ? Car mon grand-père paternel y vivait déjà. C’est donc là-bas que je suis né (en 1999 à Herford, près de Bielefeld, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie), mais je n’y ai pas vraiment vécu. À l’âge de deux ans, nous sommes retournés vivre dans notre pays car la guerre au Kosovo était terminée. »

 

… Mais le Kosovo comme nation

« J’ai donc grandi à Priština, la capitale. C’est là que j’ai commencé le football, lorsque j’avais 6 ans. Nous vivions dans une maison avec ma famille. Il y avait mes grands-parents et mes cousins à proximité. Mon école était toute proche, à seulement 10 minutes à pied. J’y allais, j’étudiais, puis je rentrais chez moi et j’allais ensuite tout seul à l’entraînement, car mes parents travaillaient beaucoup. Ils n’avaient pas le temps de me conduire au foot. Mon père est juriste et ma mère cuisinière. »

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Un frère footballeur, une sœur chanteuse

« J’ai une sœur, Valza, qui a été une chanteuse assez célèbre au Kosovo dès son plus jeune âge. Elle est vraiment talentueuse. Mais aujourd’hui, elle a arrêté la chanson. Elle habite en Belgique et aspire à une vie simple. J’ai également un frère, Erblin, qui était lui aussi footballeur. Comme moi, il a joué à Priština, puis à Saint-Trond, en Belgique. C’était un très bon joueur. Il aurait pu rejoindre un grand club, mais il n’a pas souhaité continuer le foot. »

Le foot de rue, tout part de là

« Quand j’étais petit, j’ai d’abord commencé le football dans la rue. J’y jouais beaucoup, probablement tous les jours. J’étais le premier arrivé et le dernier parti, même après la tombée de la nuit. Mon père se disait en me voyant que j’étais simplement un enfant qui aimait jouer au foot avec ses copains. Mais un jour, des gens l’ont interpelé et lui ont dit que j’étais talentueux et qu’il devrait non seulement m’inscrire dans un club, mais aussi prendre soin de moi en tant que footballeur. J’ai rejoint le club de Flamurtari, puis de Priština et j’ai continué à grandir normalement. Je marquais 5 ou 6 buts par match. Lorsque je n’atteignais pas ce score, je n’étais pas content de moi. »

 

Détecté comme le meilleur jeune du Kosovo par l’AC Milan

« Un jour, en 2012, l’AC Milan a organisé un grand camp d’entraînement au Kosovo. Pendant plus d’une semaine, 200 jeunes joueurs étaient invités à faire des tests. Je n’ai appris l’existence de ce stage qu’au dernier moment. Mon entraîneur m’y a alors conduit un peu dans l’urgence. Je suis arrivé vraiment sur le fil, j’ai dû m’habiller en vitesse alors que les enfants étaient déjà sur le terrain. C’est assez rigolo car j’ai été enregistré en tout dernier sur la liste, mais j’ai au final, j’ai terminé premier parmi tous les participants. Et c’est vraiment là que tout a changé pour moi et que ma famille a commencé à se dire que je pourrais peut-être devenir footballeur professionnel. Au fond de moi, j’avais de toute façon déjà cette ambition. »

Invité à visiter San Siro à 12 ans

« Avec quelques autres joueurs de ce stage, nous avons été invités par l’AC Milan à visiter San Siro. J’en garde le souvenir d’une très belle et grande expérience. Je l’ai vécu comme un rêve. Quand tu as 12 ans, que tu vis au Kosovo et que tu te retrouves à l’AC Milan, c’est incroyable à vivre. Je pense que je n’oublierai jamais ce moment. Ma famille était vraiment très heureuse pour moi. Je revois encore ma mère avec les larmes aux yeux. J’ai pu rencontrer les stars du club comme Kaka ou Pato et assister à un match, contre le Chievo Vérone. »

"Entre 15 et 18 ans, je ne pouvais jouer que des matchs amicaux ou m’entraîner. Pourquoi ? Parce que je suis Kosovar. Mon pays n’était pas encore affilié à l’UEFA et à la FIFA"

Cap sur la Belgique pour réaliser un rêve

« À l’âge de 15 ans, je jouais encore à Pristina quand un jour, j’ai été mis en relation avec un agent qui vivait en Belgique. Il a contacté un scout du Standard de Liège qui est spécialement venu pour me voir jouer au Kosovo. Ce jour-là, j’ai marqué 5 buts. Après le match, nous sommes allés au restaurant et il m’a expliqué son projet pour moi. Je n’arrivais pas à y croire, j’allais réaliser mon rêve. Je suis donc parti au Standard de Liège. Je pense même avoir été l’un des premiers joueurs kosovars à quitter le pays aussi jeune. J’y suis d’abord allé avec mon père, puis au bout d’un an, toute ma famille est venue nous rejoindre en Belgique. Mais dans le même temps, le Président du club, Roland Duchâtelet, qui m’avait fait venir, a vendu le Standard. Il avait un autre club, Saint-Trond. Alors je l’ai suivi là-bas. »

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Privé de compétition pendant 4 ans

« Il faut savoir qu’à mon arrivée en Belgique, je n’ai pas eu le droit de disputer le moindre match officiel jusqu’à ma majorité. C’est-à-dire qu’entre 15 et 18 ans, je ne pouvais jouer que des matchs amicaux ou m’entraîner. Pourquoi ? Parce que je suis Kosovar. Mon pays n’était alors pas encore affilié à l’UEFA, ni même à la FIFA. C’est aujourd’hui le cas, mais pas à l’époque. Tu imagines ? C’était très difficile à vivre pour moi. C’était d’autant plus frustrant que j’avais le niveau pour évoluer dans les équipes jeunes. J’ai d’ailleurs été repéré par un scout de Genk, l’un des meilleurs clubs belges, uniquement via ces matchs amicaux et entraînements. On a commencé à discuter et j’y ai signé un contrat pro à mes 18 ans. C’est vraiment une histoire spéciale. »

 

À Genk, directement dans le grand bain

« Je suis donc arrivé directement dans le groupe pro. Ça n’a pas été facile. La grande difficulté que j’éprouvais ne concernait pas ma qualité de jeu, ou ma technique. Non, mon plus grand problème, c’était la tactique. Car quand tu ne joues pas de matchs officiels, tu ne progresses pas dans ce domaine. J’avais également des difficultés sur le plan physique, évidemment, car je n’avais que 18 ans. Mais j’ai travaillé dur chaque jour avec un coach particulier pour m’améliorer. J’ai aussi beaucoup progressé sous les ordres de mon entraîneur d’alors, Philippe Clément (aujourd’hui à l’AS Monaco). Que ce soit sur le plan tactique ou dans mon repli défensif. »

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La Suisse, un nouveau palier avant la Ligue 1

« Un an plus tard, j’ai pris la décision de quitter Genk car je n’y étais pas heureux pour différentes raisons. J’ai signé au FC Bâle, en Suisse. C’est un très bon club pour continuer de progresser, pour accumuler du temps de jeu et pour se montrer sous son meilleur jour. Et je pense que j’ai pris la bonne décision. J’y suis allé seul. Ma famille est restée vivre en Belgique, même si elle venait régulièrement me voir. Je n’ai pas connu de difficultés particulières à vivre seul. Je sais que je suis fort mentalement. Et puis nos parents ne peuvent pas nous suivre partout. Je me suis également fait plein d’amis. Beaucoup d’Albanais vivent en Suisse. »

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Le LOSC ? Une grande opportunité

« Après trois ans à Bâle, il était temps pour moi de franchir un nouveau palier. Lille est le premier club à m’avoir fait une offre. J’étais très content et fier. Pour moi, le LOSC est un très bon club en France. J’ai vraiment vu cette opportunité comme le meilleur moyen de progresser dans une belle équipe d’un grand championnat. J’aime beaucoup le coach, sa philosophie. Et puis ici, je suis aussi proche de ma famille, qui est basée à Hasselt, en Belgique, à une heure de route. Pour plein de raison, le LOSC est le bon club pour moi. »

Jouer plus simple mais conserver sa finesse technique

« En quoi j’ai progressé depuis que je suis ici ? Physiquement, tactiquement, mais aussi dans le fait de jouer plus simple. Ce n’est pas que je veux changer mon jeu, ma capacité à faire des différences en un contre un. Si je tente un dribble, par exemple, c’est que je sais que je peux le tenter. Mais ce que le coach m’a appris, c’est à jouer plus simple, surtout dans des zones risquées en cas de perte du ballon. »

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Un fort attachement au Kosovo

« L’équipe nationale est quelque chose de très important pour moi. C’est mon pays, j’y suis attaché. Ma famille et moi avons beau nous sentir bien en France et en Belgique, lorsque nous sommes au Kosovo, c’est différent. C’est vraiment chez nous. Je pense que chaque joueur devrait choisir son équipe nationale en fonction de son cœur et non en fonction de sa carrière. Alors bien sûr, tout footballeur rêve de jouer une Coupe du Monde. Je sais que pour moi, ce sera peut-être plus difficile d’y participer avec le Kosovo, mais nous avons une équipe jeune, avec beaucoup de talents et un sélectionneur réputé (Alain Giresse) avec qui j’ai de bonnes connexions. »

 

Objectif Euro 2024 ?

« Tous ensemble, on espère se qualifier pour l’Euro 2024. L’aventure commence en mars, contre Israël (samedi, 18h) et Andorre (mardi, 20h45) et nous allons tout faire pour essayer de nous qualifier. C’est comme un rêve pour moi et pour tout mon pays. Plusieurs de nos joueurs évoluent en Ligue 1 comme Arbër Zeneli (Reims) et Elbasan Rashani (Clermont) ou encore Valon Berisha (ex Reims) et Bersant Celina (ex Dijon) qui sont partis depuis. D’autres jouent dans de grands championnats européens comme Vedat Muriqi (Majorque) en Espagne ou Amir Rrahmani (Naples) qui va d’ailleurs certainement être champion d’Italie. On a beaucoup d’espoirs de réaliser quelque chose ensemble.

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