​Eden Hazard, dix ans après

PAR MAXIME POUSSET

La voix n’a pas changé, la simplicité et l’amour du foot non plus. Dix ans après le doublé 2011 qui l’a révélé aux yeux du monde, Eden Hazard est devenu un immense joueur. Comme prévu. Dix ans après, l’enfant du LOSC n’a rien oublié de ses années lilloises. Et c’est avec beaucoup de plaisir qu’il a accepté de nous en parler. Entretien.

Quand tu repenses à ce doublé, il y a dix ans, quelle est la première image qui te vient en tête ?
Franchement, je ne garde pas une seule image. C’est toute la saison dans son ensemble que je retiens. On était trop forts ! Déjà la saison d’avant (2009-2010), on mettait souvent trois ou quatre buts à domicile à une certaine période. On avait l’impression d’être invincibles. Quand je repense à tout ça, ce sont surtout des images de joies qui reviennent. Et il y en a beaucoup : la finale de la Coupe de France, le retour à Lille dans le bus, le titre, les moments avec nos supporters… Ça fait vraiment déjà dix ans ? Ça passe trop vite !

Pour toi qui es formé au LOSC, ça fait quoi d’être champion avec ton club formateur ?
Ça rend le plaisir encore plus intense, surtout qu’il s’agit du premier trophée de ma carrière. J’ai tout connu au LOSC. Je suis arrivé à 14 ans, j’ai ensuite intégré le groupe pro, mais je n’étais pas le seul. D’autres, comme Yohan (Cabaye), Mathieu (Debuchy) étaient formés au club. Même dix ans après, les mots manquent pour dire ce que j’ai ressenti. Mais dix ans après, on en parle toujours.

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Qu’y avait-il de plus dans votre équipe cette saison-là ?
C’était l’harmonie du groupe. Alors bien sûr, quand on gagne, l’ambiance est toujours meilleure que quand on perd, mais dans cette équipe, l’ambiance dans le groupe était toujours très bonne. Le coach était top, il nous comprenait et savait ce qu’il fallait faire pour nous mettre dans les meilleures dispositions. Tous les joueurs étaient aussi dans leur meilleure période. Il y avait un grand gardien qui a fait des arrêts importants, une défense très solide, un excellent milieu de terrain, des attaquants efficaces et des remplaçants souvent déterminants. Et en plus de tout ça, de toute cette cohésion, on prenait beaucoup de plaisir à jouer ensemble.

Pourtant en début de saison, tu confirmes que personne dans le groupe ne pensait au titre…
Non, pas du tout. Au début de l’année, on sait très bien qui sont les deux ou trois clubs qui vont se battre pour être champions. Nous, on est programmés pour jouer l’Europe, ce qui était déjà bien pour un club comme le LOSC à l’époque. On savait qu’on avait de bons joueurs de Ligue 1, mais pas les meilleurs. Moussa (Sow) arrivait de Rennes mais n’était pas encore le meilleur attaquant. Pareil pour Gervinho. Moi j’étais jeune, Yohan (Cabaye) aussi… Il y avait également des éléments expérimentés comme Micka (Landreau), Flo (Balmont) et Rio (Mavuba). Donc non, sur le moment, on se dit que si on accroche la Champions League, ce sera déjà beau. Et puis la saison avance, des équipes perdent des points et nous, on gagne, on prend confiance, on signe quelques grands matchs donc forcément, on se met à y croire.
 

« Mon but à Marseille ? Sur le coup, j’étais simplement content d’ouvrir le score. Ce n’est qu’après, en le revoyant 150 fois que j’ai vu à quel point il était dingue »

 
À quel moment avez-vous réellement commencé à penser au titre ?
Le tournant, là où selon moi l’équipe s’est mise à croise en ses chances, c’est après notre victoire à Marseille (1-2, 06/03/11, 26ème journée). On est leader et on bat le champion en titre chez lui. Mais attention, on ne gagne pas sur le fil, non. Ce soir-là, on domine le match, on le contrôle. On se dit alors que si on est capable de faire ça chez un favori, alors c’est qu’on peut allez au bout. Inconsciemment on commence à se dire "et pourquoi pas nous ?" On prend confiance et vous savez quand vous prenez confiance, tout vous réussit. Bien sûr, rien n’est encore fait. Sur le moment, on se dit seulement qu’on est bien et qu’on doit continuer à prendre les rencontres les unes après les autres jusqu’au sprint. Car c’est ça la clé : avancer match par match chaque semaine. Tu prends les trois points, puis tu passes au suivant, sans te poser de question. C’est un discours très convenu, mais c’est la vérité.

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Et il y a ce but au Vélodrome. 34 mètres. Mais pourquoi tu as tiré ?!
(il sourit) Très honnêtement, je ne sais pas. Parfois dans le foot, tu tentes un truc à l’instinct. Tu ne me verras jamais frapper de trente-cinq mètres, encore moins du gauche, mais ce soir-là, je l’ai senti comme ça, tout simplement. Sur le coup, j’étais content d’ouvrir le score, car c’était un but important dans un match important. Mais je ne me suis pas dit que j’avais marqué un but de fou. Ce n’est qu’après, en le revoyant cent-cinquante fois que j’ai vu à quel point il était dingue. Ce qui le rend si spécial, c’est aussi le contexte : Marseille, le Vélodrome, en prime time… Si j’avais marqué le même un samedi à quinze heures contre une équipe moins prestigieuse, on n’en parlerait plus. Là, c’était un gros match. 

N’est-ce pas justement la marque des grands joueurs de faire la différence dans les grands matchs ?
Oh, tu sais, que ce soit à Lille, Chelsea, au Real ou en équipe nationale, il y a des grands matchs où je n’ai pas répondu présent, je ne te le cache pas. Il est clair qu’aujourd’hui, ce sont souvent les grands joueurs qui font la différence dans les grands matchs. Et c’est même de plus en plus le cas. Le football n’est plus le même qu’il y a dix ans. Aujourd’hui, les rencontres sont plus fermées. Pour gagner un grand rendez-vous, il faut soit être au-dessus collectivement en faisant tourner le ballon, soit compter sur une individualité capable de débloquer la situation par un dribble, une frappe…

Ce duo que tu formais avec Gervinho, en quoi était-il si redoutable ?
Je ne sais pas, on s’entendait bien. Nous n’avions pas besoin de travailler notre complicité, elle était naturelle. « Gervais » aimait bien recevoir les ballons en profondeur alors que moi, je les aimais dans les pieds. Sur le terrain, on permutait beaucoup, même avec Moussa (Sow). Le coach nous laissait libre de changer de côté quand on le voulait. Il fallait seulement revenir dans l’alignement pour défendre. On prenait beaucoup de plaisir à jouer ensemble.
 

« Honnêtement, si le LOSC est champion cette saison, ce serait encore mieux que nous en 2011 »

 
En fin de saison, tu es élu meilleur joueur de Ligue 1, toi qui était déjà double meilleur espoir. Comment as-tu accueilli cette récompense ?
(il réfléchit) J’ai toujours eu du mal avec le concept de récompenses individuelles dans un sport collectif. Si je reçois ce trophée cette saison-là, c’est parce que l’équipe m’a permis d’être là, que les joueurs autour de moi ont été bons, m’ont donné de bons ballons. Je n’ai pas tout fait moi-même. Un titre de meilleur joueur, tu ne l’as que quand ton équipe gagne. Alors bien sûr, j’étais content et fier de recevoir ce trophée, évidemment. Mais pour moi, ces récompenses individuelles cassent un peu l’image que je me fais du football collectif. En 2010-2011, Gervais l’aurait aussi mérité. Il n’a d’ailleurs même pas été nommé parmi les quatre lauréats (Hazard, Sow, Gameiro, Nenê). J’étais déçu pour lui. Je me rappelle encore du jour des nominations. Avec Moussa, on ne comprenait pas pourquoi il n’y était pas. Si tu en mets un, tu mets les trois et même les autres, car Micka, Rio, Yo, Flo et d’autres le méritaient tout autant. Mais dans le football, on récompense toujours ceux qui font les dribbles, qui marquent les buts, alors que le reste est aussi important. C’est pour ça qu’à la base, je n’aime pas les trophées individuels. Cette saison-là, c’est le LOSC qui reçoit le trophée de la meilleure équipe, point.

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Quand tu repenses à ta carrière dans sa globalité, que gardes-tu de tes années lilloises, que ce soit dans ta vie personnelle ou professionnelle ?
C’est là que j’ai tout appris, que je suis devenu un homme. Ce n’est pas qu’une question de jouer au foot. Quand je suis arrivé, à 14 ans, j’étais un bébé. Et quand je suis parti, à 21 ans, j’étais encore un bébé, mais un peu moins. J’avais encore des choses à découvrir, mais footballistiquement, c’est au LOSC que j’ai tout appris. C’est à Lille que j’ai commencé à m’entraîner avec les pros, à découvrir ce milieu, l’environnement du foot, les stades. C’est aussi là que j’ai gagné mes premières primes, mes premiers salaires, où j’ai habité dans mon premier appartement. J’ai appris la vie, quoi. Je dois presque tout à Lille. Si j’en suis là aujourd’hui, c’est en partie grâce aux gens que j’ai croisés dans le Nord, aux formateurs, mais aussi à tous ceux que j’ai pu côtoyer pendant ces années. Ils ont tous une part dans mon succès.

Suis-tu encore les résultats du LOSC ?
Bien sûr ! En plus, maintenant, je partage ça avec mes enfants. Quand ça parle du LOSC à la télé, ils savent que c’est là où papa a joué. Seul mon plus grand était né quand j’évoluais à Lille, mais tous savent que j’ai commencé ici. Après, je ne regarde pas tous les matchs comme pendant les deux ou trois années après mon départ. D’abord parce que j’ai 30 ans maintenant, j’ai des enfants et plein d’autres choses à faire. Mais aussi parce que je ne connais plus personne dans l’équipe. Mais dès que je peux, je regarde les matchs. Honnêtement, s’ils sont champions cette saison, ce serait encore mieux que nous en 2011, car il y a maintenant le PSG version Qatar, ce qui rend ce championnat encore plus difficile à remporter. Les supporters le méritent. Quand on a remporté ce doublé, ils avaient dû attendre plus de 50 ans pour voir le club soulever un trophée. Et dans cette période compliquée, ça ferait du bien à tout le monde. Les gens du Nord le méritent et surtout les joueurs.

 


Eden Hazard

Né le 7 janvier 1991 à La Louvière (Belgique)
Parcours : Stade brainois (1995-2003), AFC Tubize (2003-2005), LOSC (2005-2012), Chelsea (2012-2019), Real Madrid (depuis 2019)
International belge (105 sélections, 32 buts)

Palmarès : Champion de France 2011 (LOSC), vainqueur de la Coupe de France 2011 (LOSC), champion d'Angleterre 2015 et 2017 (Chelsea), vainqueur de la League Cup 2015 (Chelsea), vainqueur de la FA Cup 2018 (Chelsea), vainqueur de l'Europa League 2013 et 2019 (Chelsea), champion d'Espagne 2020 (Real Madrid), vainqueur de la supercoupe d'Espagne 2020 (Real Madrid)

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